Dangereuse Charlotte
Le temps passe et me reviennent des souvenirs que j'avais enfoui bien profondèment dans ma mémoire.
Lorsque Charlotte s'est installée chez moi, elle était tout simplement invivable. Elle s'était faite violence pour s'installer dans la maison, alors que c'était son idée. A peine installée, elle voulait déjà partir. Je me souviens l'avoir retenue plusieurs fois. Elle pensait que j'allais la mettre dehors, que je ne vivais que dans mon passé, que de toute manière elle n'était que de passage et qu'elle laisserait sa place à la suivante. Le tout dans des crises de colère impossibles, des hurlements à n'en plus finir, des bris d'objets en tout genre. Je me souviens m'être excusé platement à plusieurs reprises. Pour qu'elle ne parte pas, pour qu'elle se calme, pour qu'elle revienne à la raison. C'était toujours in-extremis, et c'est bien parce qu'elle n'avait pas son permis à cette époque qu'elle finissait par rester.
Mais dans la maison, rien de grave ne pouvait arriver. C'est dans la voiture où ses crises étaient particulièrement dangereuses. Elle ne supportait pas que je puisse me concentrer sur la route ou la radio, et commençait alors à me torpiller d'insultes, de reproches, d'insanités en tout genre. Souvent au retour du travail, ou d'un repas chez sa mère ou chez mes parents. Quand elle voyait que je restais concentré sur la route, elle me bousculait, hurlait plus fort encore, essayait de changer de vitesse, ou me retirait les clefs de contact. Oui, en roulant, elle enlevait les clefs, et le moteur s'arrêtait, la direction se bloquait, et la voiture venait finir sa course tant bien que mal sur le bord de la route. Derrière nous, des klaxons, des appels de phare, des évitements. Une situation dangeureuse, qui aurait pu mal tourner. Les clefs, elle les jetait par la fenêtre, ou les gardait avec elle, et il fallait souvent de nombreuses minutes de discussion pour qu'elle daigne me les rendre. Parfois elle sortait de la voiture, pour marcher vers je ne sais où. Parfois je retrouvais les clefs qu'elle avait jeté sur la banquette arrière, et je m'en allais... Pour revenir 5 minutes plus tard. Ce n'est pas arrivé une fois, ni deux, ni trois, mais plusieurs fois, et à chaque fois les mêmes crises, les mêmes risques, le même délire. Et je faisais tout pour la garder, pour l'aimer, pour la comprendre. Je ne voyais que sa fragilité, que sa tristesse, que ses pleurs. J'éprouvais de l'amour, toujours plus fort, de la compassion, tant de compassion.
Mais le plus dangereux n'était finalement pas de risquer un accident. Le plus dangereux, je le vis aujourd'hui. En ce moment. J'ai aimé plus que tout une personne irrationnelle qui m'a détruit pendant 3 ans. Mais je ne savais pas alors que le plus dur était à venir, essayer de se reconstruire, quand vous pensez que les 3 dernières années ont été et resteront peut-être les plus belles années de votre vie.